17 août 2007
IMMIGRATION ET DROIT D'ASILE QUELLE POLITIQUE ?
Bonne lecture
CATHMTH
Point de vue
Immigration et droit d'asile, quelle politique ?, par Jacques Ribs et Pierre Henry
LE MONDE | 15.08.07 | 13h48 • Mis à jour le 15.08.07 | 13h48
vec la nouvelle loi promise par Brice Hortefeux, ce sera la 15e fois depuis 1981 que le Parlement légifère sur la question de l'immigration, la 4e en cinq ans. On aimerait être assurés de l'impérieuse nécessité de ce texte et qu'il correspond bien non pas à des objectifs de politique intérieure mais à la recherche d'efficacité dans la construction d'une politique d'intérêt partagé entre les pays sources, les migrants et les pays d'accueil. Trois éléments nous semblent d'une importance majeure.
Tout d'abord, la reconnaissance du droit des migrants. Dans la lettre de mission adressée par le président de la République au ministre de l'immigration, en juillet, il est un objectif qui doit retenir l'attention : l'engagement de concertations pour l'élaboration d'un traité multilatéral définissant les droits et devoirs des Etats en matière de gestion des flux migratoires. Or qu'il nous soit ici permis de rappeler qu'un instrument international adopté par l'ONU le 18 décembre 1990, entré en vigueur le 1er juillet 2003, existe déjà. Il s'agit de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. A ce jour, trente-sept Etats dans le monde l'ont ratifiée, dont l'Algérie, le Sénégal, le Maroc ou encore la Turquie... Malgré plusieurs interpellations du Parlement européen, aucun Etat membre de l'UE n'a mis son paraphe au bas de ce traité.
Cette convention, pourtant, institue un cadre propre à garantir des conditions saines, équitables et dignes en ce qui concerne les migrations internationales. Elle invite les Etats à procéder à des consultations et à coopérer pour la bonne organisation du retour des travailleurs migrants, pour prévenir et éliminer l'emploi illégal. Elle précise aussi les droits reconnus aux étrangers en situation régulière, tend à fournir un cadre pour l'organisation de la circulation des travailleurs migrants et apporte des indications précieuses par exemple pour que la présence de personnes en situation irrégulière sur le territoire des Etats ne se prolonge pas.
Le seul argument développé par la France par l'intermédiaire de son ministre des affaires étrangères dans une réponse à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) en août 2005 pour la non-ratification de cette convention réside dans l'évocation de dispositions fiscales contraires à notre droit. Si la volonté politique existe, il ne devrait pas être difficile de contourner cette difficulté.
Tout le monde s'accorde pour estimer que, à long terme, le développement est la seule solution à la maîtrise des flux migratoires. Les pays de l'OCDE fournissent aujourd'hui l'équivalent de 100 milliards de dollars (73,69 milliards d'euros) d'aide annuelle. Ce n'est pas négligeable, mais ce chiffre est à comparer aux 360 milliards de dollars d'intérêts de la dette que les pays en développement remboursent chaque année. Parallèlement, le montant des transferts des ressources financières des travailleurs migrants des pays développés vers leur pays d'origine s'établit à environ 230 milliards de dollars en 2006. Si l'on y ajoute les transferts par le biais des réseaux traditionnels, tous les experts estiment qu'il convient alors de les multiplier par 2,5, soit 575 milliards de dollars.
La France doit être exemplaire, elle doit faire la transparence sur la nature de son aide : aujourd'hui, 40 % de l'aide française serait artificielle, selon les ONG engagées dans l'aide au développement. Elle doit cesser ses artifices comptables qui consistent à élargir l'assiette de l'aide au développement en y inscrivant par exemple, de manière surprenante, certaines dépenses liées aux DOM-TOM tels Wallis-et-Futuna ou Mayotte, au développement de la francophonie ou au coût du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile.
Enfin, un système d'asile ouvert et protecteur. Les portes de l'Union sont très surveillées. En rationnant l'accès aux pays démocratiques, des files d'attente en provenance des pays en développement ou en guerre se créent à nos portes. Il convient de les diminuer, et de les gérer. Gérer, cela veut dire identifier aux frontières les besoins de protection au titre par exemple de la demande d'asile. Il est en effet curieux de constater que si nul responsable politique ne conteste la qualité de réfugié aux 2 millions d'Irakiens qui se trouvent aujourd'hui en Syrie et en Jordanie, il n'en va pas de même dès lors que quelques-uns de ces mêmes réfugiés tentent d'entrer en Europe. La France se distinguant, avec 90 protections délivrées à des Irakiens en 2006, de même que le Royaume-Uni, qui vient de refuser l'asile à ses propres traducteurs irakiens.
Au soir de son élection, le nouveau président a appelé au maintien de la tradition française d'appui aux persécutés du monde entier. Il convient que ce discours soit traduit en actes. Trop de demandeurs d'asile sont empêchés d'entrer en Europe et, lorsqu'ils y parviennent, trop de dossiers ne sont pas examinés de manière équitable. Devant les murs dressés contre l'immigration irrégulière, d'aucuns en Europe prônent le développement du concept de réinstallation, c'est-à-dire la possibilité d'aller chercher les réfugiés à proximité ou sur les zones de conflit et de les réinstaller en Europe. Pourquoi pas ? Nous n'y sommes pas opposés dans le principe.
Mais les défenseurs des droits de l'homme doivent être vigilants et ne pas troquer contre quelques opérations médiatico-humanitaires tout le système d'accueil et de protection internationale développé depuis l'après-guerre, issu de la convention de Genève. C'est le noyau dur sur lequel aucune concession n'est possible si la France ne veut pas avoir à rougir de son attitude au regard des droits de l'homme. L'Europe n'a pas besoin de troc mais d'une harmonisation ambitieuse de son système d'asile et d'immigration.
Jacques Ribs, président de France Terre d'Asile
Pierre Henry, directeur général
Article paru dans l'édition du 16.08.07
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